Il y avait la fatigue bien sûr, le voyage, la nourriture — et puis finalement la maladie. Ça a commencé par des migraines, des gros clous en métal plantés dans les tempes et martelés sans arrêt. Puis il y a eu la fièvre. La fièvre, c’était celle qui creusait les gouffres dans nos vallées, qui rongeait les hommes et disloquait les arbres. Quand on l’a vu arriver, sur le chemin, pâle et étique comme il était, et quand on a vu arriver les autres, ceux qui revenaient, on s’est dit qu’ils avaient été évidés en-dedans.
There was the exhaustion, the journey, the food — and eventually the sickness set in. It started with migraines, big metal nails driven and hammered into the skull again and again. Then came the fever. It was of those that dug pits in our valleys, ate away at our men and ripped trees apart. When we saw him again, pale and skinny as he was, and when we saw the others, those who were coming back, our first thought was that they had been hollowed out.
Cette publication s’articule autour de photographies issues d’un fond familial, réalisées au VestPocket et au Vérascope Richard par Léon et Pierre Bezault entre 1900 et 1930, et d’un témoignage imaginaire, nourri par les souvenirs de ceux qui ont senti les signes lointains des combats et gardé les stigmates de la peur. Les images, prises par des amateurs, inscrites dans la photographie vernaculaire, n’étaient destinées à être vues et comprises que par le cercle proche des photographes — elles sont aujourd’hui singulières en ce qu’elles représentent des fantômes, corps inconnus et oubliés, et des scènes incongrues au contexte insaisissable. Elles sont marquées par le hasard de la prise de vue et par les altérations du temps qui crée, dans l’émulsion photographique elle-même, des déchirures et des boursouflures, qui troue les visages et tranche les paysages. Elles sont à l’image de la guerre qui menace et dont l’ombre pèse sur les gestes du quotidien ; elles possèdent en elles-mêmes une étrangeté et une capacité à l’étrange, au farfelu, à l’inexploré — capacité qui se déploie à travers de nouvelles altérations, numériques cette fois. Les photographies sont rassemblées dans une temporalité éclatée, effaçant les distances entre guerres et temps de paix dans la vie quotidienne et le texte qui les accompagne propose une nouvelle interprétation de ces visions passées reflétant une époque en plein bouleversement. Les six exemplaires réalisés, en format carré, ont été imprimés sur papier recyclé et reliés à la main.
Impression laser sur Cyclus offset
Projet éditorial photo-textuel, bilingue